jeudi 19 septembre 2013

8 QUESTIONS A : MARIE-JOSE CHAVENON POUR SON LIVRE INES LYAUTEY (Mots-clés : infirmière, Maroc, Grande Guerre, maréchale, Croix-Rouge)


La brillante carrière du maréchal Hubert Lyautey est connue de tous (du moins presque...), pourtant celle de son épouse Inès Lyautey, née Inès de Bourgoing, restée dans l'ombre de son époux, n'a presque jamais été évoquée. Elle n'a cependant rien a envier à son illustre et "étoilé" mari.

Née un 5 janvier 1862, Inès Lyautey obtient son diplôme d'infirmière le 21 juin 1901. Diplômée, elle sert au Maroc en 1906, participe à la Grande Guerre, etc. Sa vie se partage entre France et Maroc. Les affectations se suivent ainsi jusqu'au mois d’août 1940, date à laquelle elle est appelée à la vice-présidence de la Croix-Rouge française unifiée tout juste naissante. Faite commandeur de la Légion d'honneur en 1946, elle décède le 9 février 1953 à Casablanca au Maroc.

Son histoire est évoquée dans un ouvrage de 259 pages bien fournies écrites sous la plume de Marie-José Chavenon. Inès Lyautey, paru aux éditions Gérard Louis, en 2010, est un ouvrage richement documenté, bien mené, fourmillant d'anecdotes connues ou l'étant moins. Mais laissons donc la parole à Marie-José Chavenon pour nous présenter "son" Inès Lyautey.




1/ Pourquoi ce choix d’Inès Lyautey ?



Infirmière récemment retraitée, j’ai lu en 2002 un article, dans un magazine professionnel, sur cette personnalité dont je n’avais jamais entendu parler, alors que, passionnée d’Histoire, je connais bien le parcours du maréchal Lyautey. Intriguée, cherchant à en savoir plus et comprenant que rien n’avait été publié sur cette inconnue, j’ai décidé d’en écrire la biographie.




2/ La campagne du Maroc une période formatrice dans sa carrière ?

Inès de Bourgoing, veuve du colonel Fortoul, a débarqué pour la première fois au Maroc en 1907, où l’armée menait une campagne destinée à pacifier les populations tribales agitées dans la région de Casablanca. Les 2 mois de sa mission l’ont marquée profondément et durablement. Elle s’est plongée dans le travail en développant des qualités de soignante remarquées par sa hiérarchie, tout en découvrant le charme du pays. La rencontre avec Lyautey, quelques jours avant la fin de sa campagne, a-t-elle contribué à l’enraciner dans l’amour du Maghreb, ou aurait-elle eu ce même désir sans lui ? Il est certain qu’elle aurait demandé à exercer dans les colonies, si l’on en croit ses lettres écrites avant la rencontre.



3/ Un mot sur l’infirmière

Issue d’un milieu aristocratique et fortuné, son père, le baron Philippe de Bourgoing était Ecuyer de Napoléon III, et sa mère, héritière des filatures D.M.C. de Mulhouse, elle a suivi tardivement ses études à la Croix-Rouge, diplômée à 39 ans, moins par vocation que pour satisfaire au dévouement socialement valorisant de son milieu, lié à l’obligation rituelle de prendre soin d’autrui par idéologie religieuse. D’un caractère affirmé, elle est rapidement montée dans la hiérarchie avec des responsabilités importantes, tout en restant toujours très active sur le terrain. Être nommée directrice générale de la Croix-Rouge à l’âge de 78 ans, confirme sa puissance de travail ajoutée à son autorité naturelle.




4/ Un mot sur la maréchale

Elle fut d’abord la générale par son mariage en 1909, puis la maréchale lorsque Lyautey fut nommé maréchal de France en 1921. Elle n’accordait pas plus d’importance à ce titre qu’aux nombreux autres, reçus au fil des années, même si elle a parfois laissé paraître sa fierté d’être alliée au grand homme. Elle savait néanmoins se servir de ce statut lorsqu’elle avait besoin d’appuis et de fonds pour faire avancer la cause de la Croix-Rouge en Afrique du Nord.


5/ Quel impact son travail social a-t-il eu au Maroc ?

Elle n’a eu de cesse de créer en permanence des hôpitaux, dispensaires, maternités, gouttes de lait (PMI), sanatoriums, maisons de convalescence, etc. Elle insistait beaucoup sur l’éducation sanitaire des populations, attentive à quadriller le pays jusque dans les bleds les plus reculés. Elle a ouvert des écoles d’infirmières dans les grandes villes, et la formation d’un personnel marocain destiné aux hôpitaux (brancardiers, femmes de ménage, cuisiniers, etc.)
Grâce à son action efficace (elle allait même supplier la Red Cross américaine lorsque la française avait du mal à suivre !), le Maroc a pu se doter d’une puissante infrastructure médicale, œuvre gigantesque dont les bâtiments sont toujours présents et opérationnels de nos jours. Ce travail majeur a fait sortir le Maroc de la misère médico-sociale qui sévissait encore avant la nomination de Lyautey comme gouverneur en 1912. Des maladies endémiques ont été éradiquées, d’autres efficacement soignées, sans jamais oublier la prévention spécifique à chaque type de maladie.


6/ Une femme discrète ?

Inès Lyautey ne s’est jamais mise en avant, pratiquant l’humilité comme une seconde nature. Elle acceptait les remises de récompenses et médailles comme une obligation liée à son travail, n’en tirant aucune gloire, absolument muette sur le sujet. Aimable, conviviale, toujours à l’écoute des problèmes, elle faisait l’unanimité autour d’elle. En revanche, s’il fallait « monter au créneau » pour mener à terme ses projets professionnels, elle pouvait être têtue et mordante avec les interlocuteurs.

7/ A-t-elle vécu à l’ombre de son mari ?

Vraiment pas. Elle est toujours restée indépendante et active, n’hésitant pas à déserter continuellement le foyer, toujours dans le cadre de son travail. Lyautey, qui appréciait sa présence rassurante et ses qualités de maîtresse de maison, tant pour les réceptions officielles que pour le confort de leur intimité, pestait contre ses absences trop longues à son goût.


8/ Comment la définiriez-vous en deux mots ?

Jolie et jouissant d’une excellente santé, elle était intelligente, cultivée, consciencieuse, raffinée, élégante et en un mot, brillante. Elle était aussi têtue, insistante, autoritaire, sévère, dans le cadre d’activités professionnelles qu’elle menait de main de maître, où elle ne tolérait aucune erreur, ni aucune faiblesse, appliquant ce concept en priorité à elle-même, en travaillant jusqu’à l’âge de… 90 ans !



Marie-José Chavenon, Inès Lyautey, Haroué, éditions Gérard Louis, 2010.


Ouvrage disposible sur les sites de vente en ligne : Amazon, Fnac, Priceminister, etc.

Merci à Marie-José Chavenon d'avoir répondu si aimablement à nos questions.




vendredi 6 septembre 2013

8 QUESTIONS A : CHANTAL ANTIER (mots-clés : Grande Guerre, première guerre mondiale, résistance, espionne, espionnage, Ramble)


Cette nouvelle rubrique donne la parole à un auteur, un historien... Pour l'inaugurer, nous donnons la parole à l'historienne Chantal Antier pour son livre Louise de Bettignies paru chez Tallandier. Notre prochaine invitée sera Marie-José Chavenon pour son livre Inès Lyautey paru aux éditions Gérard Louis et dont nous ferrons une recension dans un futur post.




1/ Pourquoi ce choix de Louise de Bettignies et pas une autre héroïne ?

Après avoir vu un film sur Louise de Bettignies pendant la seconde guerre, et très frappée par son destin,  j’ai décidé plus tard de m’intéresser en tant qu’historienne de la Grande Guerre à ces femmes dont on a peu parlé en dehors des films sur Mata-Hari la « fausse espionne ».

2/ Qui était-elle ?

Louise de Bettignies est le huitième enfant d’une famille lilloise d’origine belge dont le père dirige une usine de faïence renommée à Saint-Amand-Les-Eaux en association avec un frère et un beau-frère. Elevée dans un pensionnat religieux selon la tradition des familles catholiques du Nord, elle montre rapidement sa personnalité originale, indépendante mais profondément pieuse. Envoyée par son père en Angleterre, pour y poursuivre ses études, elle apprécie la liberté offerte et les débuts du féminisme. La mort de son père la pousse à trouver du travail comme préceptrice en France et en Europe jusqu’à la veille de la Grande Guerre. A son retour se déchaîne la guerre de 1914 où dès octobre sa ville est envahie par les Allemands, après la Belgique déjà occupée. Elle envisage très vite de résister soit en nourrissant les combattants français près de chez elle, soit en acceptant de transporter plus de 600 messages de Lillois à leurs parents réfugiés en France lors de son voyage pour retrouver sa famille. Elle est sollicitée en passant à Folkestone en Angleterre pour travailler avec les services secrets britanniques puis en France par les services secrets français. Elle accepte de créer le réseau Ramble à Lille pour les Britanniques et prend le nom d’Alice Dubois. La dureté de son combat la pousse à trouver une amie chaleureuse, prête à partager ses angoisses et ses distributions de messages  : Léonie Vanhoutte devenue Charlotte Lameron. Toujours ardente, sans peur devant les pires difficultés, elle traverse avec son amie au péril de sa vie la Belgique occupée. Elles sont arrêtées en septembre 1915 l’une après l’autre sans que la police allemande ne fasse le rapport entre elles. Elles se retrouvent dans la prison de Saint Gilles à Bruxelles où par une ruse de la police, leur travail commun est découvert. Le 16 mars 1916, Louise est d’abord condamnée à mort puis au bagne à perpétuité et Léonie à 15 ans de prison. Très maltraitée au bagne de Siegburg, considérée comme rebelle, car elle veut faire appliquer les Conventions de Genève, elle garde malgré tout espoir de sortir grâce aux démarches de sa famille, de ses amis et de ses prières. Très malade après deux jours au cachot, une opération faite en prison, elle est enfin emmenée à l’hôpital de Cologne où elle garde encore espoir d’être envoyée en Suisse. Elle meurt le 18 septembre 1918. Ce courage, cette droiture et cette liberté d’agir et de penser l’ont parfois fait juger comme exaltée à une époque de guerre où pourtant des femmes se sont révélées aussi courageuses que les soldats.

3/ Espionne ou résistante ?

De résistante Louise est passée agent secret, le rôle est différent quoiqu’aussi périlleux et courageux. Parlant plusieurs langues, dirigeant un groupe d’espions, parfois arrêtés et à remplacer, transportant des messages, parfois du matériel radio ou des pigeons voyageurs, elle doit suivre les consignes de ses chefs britanniques et même aller parfois jusqu’à Londres prendre les consignes.

4/ Un mot sur le réseau Ramble

Le réseau Ramble est un des rares dirigés de l’extérieur, par les services secrets britanniques au contraire de plusieurs essentiellement belges et dirigés par une femme. Un bureau se trouve à Flessingue, Pays-Bas, le Foreign Office dirige des bureaux en Angleterre à Folkestone ou à Londres. Très rapidement, Louise réunit quarante personnes grâce à une équipe de résistants déjà spécialisés dans le passage de soldats ou de jeune gens de Belgique aux Pays-Bas pour continuer le combat contre les Allemands.

Les secteurs d’espionnage sont confiés à des hommes et des femmes de ce groupe qui recrutent, surveillent et réunissent les messages à jour fixe dans des lieux passagers (bars, commerces) Louise lit ces informations et les condense, Léonie est chargée de les mettre sur papier japon avant leur transfert dans des cachettes sous les déguisements.

Au moment de l’arrestation de Léonie, quatre-vingts personnes travaillent soit régulièrement soit temporairement pour ce réseau.

(Depuis mon livre plusieurs personnes m’ont écrit pour me dire que leur grand-mère ou arrière-grand-mère avait travaillé avec ce réseau et m’ont envoyé des preuves)

5/ Peut-on comparer la résistance de la Grande Guerre à celle de la seconde guerre mondiale ?

Je ne pense pas que la résistance en 1940-1945 ait été la même qu’en 1914. Il y a eu une organisation de la Résistance en France, parce qu’elle a été entièrement occupée, même si l’aide de l’Angleterre a été importante. Différents groupes ou partis avant l’arrivée de Jean Moulin existent  : militaires démobilisés ou mis à la retraite anticipée, parti communiste : FTP, FFI, jeunes contre le STO etc. Peu de femmes ont dirigé un réseau mais les peines ont été parfois aussi violentes, camps de déportées, déjà commencés en 1915 en Allemagne mais moins organisés comme en 1940-1945.

6/ Quels apports nouveaux les archives de la famille de Louise de Bettignies ont apporté à la réalisation du livre ?

Les archives et photos familiales surtout les lettres écrites en prison, les contacts avec des descendants, m’ont permis de sortir de l’image présentée par les livres écrits sur Louise surtout par ses proches. Je pense avoir appréhendé la personnalité réelle de cette femme que la famille si elle l’a considérée comme une héroïne n’a pas voulu que son nom reste attaché à l’idée d’espionnage. J’ai tenté de comprendre aussi sa haine des Allemands, même avant la guerre, sans doute parce qu’elle avait été élevée dans les souvenirs de la guerre de 1870 dans le Nord.

Les livres antérieurs écrits entre 1919 et 1938, témoignages d’espionnes ou de résistantes, également les archives de Bruxelles avec les lettres de femmes du réseau Ramble recueillies en 1920 sont intéressants, car ils montrent aussi comment à cette époque où on pense surtout aux années folles le drame de nombreuses femmes dévouées à leur patrie a existé.

7/ Sur quelle autre héroïne de la Grande Guerre souhaiteriez-vous écrire ?

Pour le moment je ne pense pas à écrire un autre livre même si la biographie de certaines femmes m’intéressent.

8/ Selon vous, l'histoire des femmes, au cours des deux conflits mondiaux, a-t-elle trouvé son public en France ?

Je me réjouis de savoir qu’un livre d’histoire écrit par de nombreuses historiennes commence à être utilisé dans les programmes scolaires. Françoise Thébaud, la première à écrire sur les femmes en 1914 a ouvert une voie qui m’a encouragée, son livre sera prochainement réédité. (Ndb : Françoise Thébaud, La Femme au temps de la guerre de 14, Paris, Stock, 1986)

Merci à Chantal Antier d'avoir répondu à nos questions.